Souvenirs d’un très grand poulet
Au risque de passer pour un vilain garçon, je l’écris sans haine et sans crainte : si Lucien Aimé Blanc (LAB pour les intimes) n’avait pas existé, Jacques Mesrine n’aurait sans doute jamais été neutralisé le 1er novembre 1979. Et, allons encore plus loin, si l’opération avait été menée de bout en bout par l’Office centrale de répression du banditisme (OCRB), dirigé par celui que l’on apostrophait sympathiquement à grands coups de « Lulu », peut-être l’ennemi public N°1 de l’époque n’aurait pas été troué de plus de balles qu’il en faut pour mourir… Je me souviens de « Lulu », acceptant de répondre à quelques questions à mon micro de RTL. C’était à l’issue de la conférence de presse triomphante du ministre de l’Intérieur, accompagné du directeur central de la PJ, de son homologue du 36 Quai des Orfèvres et du procureur général de Paris.
Et le chef de l’OCRB de me confier qu’il regrettait cette fin, avec pour ultime commentaire qu’il aurait de loin « préféré parler avec Mesrine, avant de monter les marches du palais de justice de Paris à ses côtés » Ressort géographique et administratif oblige, l’anti-gang avait été associé à l’hallali, terminant dans le sang le patient travail d’enquête d’Aimé Blanc et de ses gars. Celui-là même qui avait permis de remonter la trace de Charly Bauer, complice de Mesrine. Ce qui permit de surveiller, de filer le premier, jusqu’à tomber sur le second et de découvrir sa planque.LA POLICE D’AIMÉ BLANC
C’est un indic’ d’Aimé Blanc qui avait balancé le tuyau qui permit à l’OCRB de retrouver Bauer. Et Maurice Bouvier refusant de payer à une « balance » la prime pourtant promise à « toute personne susceptible d’apporter aux autorités des informations sur Mesrine », LAB se débrouilla autrement. Bien avant qu’il le fasse lui-même dans un des deux siens, j’avais raconté dans un de mes bouquins comment le flic avait aidé son informateur et un complice à cambrioler une résidence huppée du 16e arrondissement de Paris. Pour ce faire, il leur avait fourni l’escorte de deux inspecteurs de l’OCRB qui avait surveillé la demeure tandis qu’elle était dévalisée, puis balisé le parcours du véhicule transportant meubles rares et œuvres d’art, afin qu’il ne soit pas inquiété par une patrouille intempestive. Mis en cause, plus tard, par plusieurs de ses pairs et collègues, pour ces méthodes « anachroniques », sa trop grande fréquentation des voyous et sa gestion des indicateurs, Lucien Aimé Blanc répondait en 1981 : « J’ai fait de la police comme on me l’a appris. Ce n’est pas à d’autres fonctionnaires de me mettre en cause, d’autant que ce sont souvent eux qui m’ont demandé de m’immiscer dans de curieuses combines et que j’ai obtenu des résultats satisfaisants ».
COUPS DE GUEULE
N’empêche, quelque temps plus tard, LAB était nommé directeur de la PJ de Lille, un placard capitonné pour celui qui, à la suite de la fin de Mesrine, était promu à un poste de directeur central PJ, à tout le moins d’adjoint. C’est justement la traque de Mesrine, et plus particulièrement l’épisode de l’enlèvement du vieux Henri Lelièvre, qui avait été l’occasion pour Lucien Aimé Blanc et moi de nous colleter. Un épisode d’anthologie ! Lui, sur le pas de la porte du Griffon, le bistrot jouxtant le siège de l’OCRB, me traitant de tous les noms d’oiseaux possibles, moi lui répondant, devant clients et plusieurs de ses gars : « Mais vous en êtes un autre, M. le divisionnaire ». En fait, il s’était pris un savon par le DCPJ (Maurice Bouvier dit la pipe car, même à vide, il tirait constamment dessus…). Aux yeux de ce dernier, RTL avait fait trop vite (et trop près) pour relater la remise de rançon, et la fusillade essuyée par l’équipage de l'OCRB, le plus proche de la voiture du fils Lelièvre qui allait au contact. Lulu n’y était pour rien. C’est un de ses hommes qui, trois jours plus tôt, m’avait donné tout le dispositif, horaire de mise en place compris… Y avait plus qu’à suivre ! Mais, comme à son habitude, Lucien avait couvert son gars, dont j’attendis le décès pour lui dire que la fuite venait de celui-ci…
UNE VIE DE GRAND FLIC
Du démantèlement des labos d’héroïne de la French Connection, à l’affaire Mesrine, en passant par l’assassinat du juge Michel dont il était fier d’avoir été l’ami, de la brigade mondaine du 36 à l’OCRB du 127 st Honoré, en passant par l’antenne marseillaise de l’Office des stup’s, Lucien Aimé Blanc a eu une vie de flic bien remplie. Oui, il avait des méthodes pas toujours orthodoxes ; oui il avait profité personnellement de certains « chantiers » qu’il avait monté sur ordre ; oui il pouvait « aider » les truands à se détruite entre eux, en les montant les uns contre les autres ; oui il menait grand train, sortait la nuit, fréquentait des mères maquerelles, des repris de justice, des personnages peu recommandables. Mais seuls les voyous, les trafiquants, les assassins, quelques escrocs en col blanc auraient pu s’en plaindre. Car, c’est en vivant et en travaillant ainsi qu’il les faisait tomber… À tel point qu’il est impossible de savoir combien d’affaires résolues l’ont été grâce à LAB, qui préférait parfois refiler ses tuyaux à un autre service, afin de ne pas apparaître au moment de l’addition… Autres temps, autres mœurs. La police d’aujourd’hui ne pourrait se faire selon les méthodes d’Aimé Blanc. La majorité de ses chefs a bien trop peur de son ombre pour déborder du cadre… Des magistrats comme ceux qui appuyaient Lulu, n’existent plus, ou presque. Tous veulent laver plus blanc que blanc, mais sans mettre les mains au panier de linge sale, sans même ouvrir la porte de la machine… À l’époque où Lucien Aimé Blanc était aux affaires, seules les mains du grand flic qu’il était pouvaient rester barbouillées. Le linge de la délinquance et de la criminalité lui, finissait blanc. Adieu poulet !